Prise en charge de l’obstruction rénale/urétérale par des calculs urinaires.
Par Elsa EDERY, DipECVIM et Hervé BRISSOT, DipECVS
Les obstructions urétérales sont des affections graves qui sont de plus en plus fréquemment diagnostiquées chez le chien et le chat depuis que la connaissance de ces affections est plus largement répandue dans la profession vétérinaire.
Lors d’obstruction urétérale, la pression hydrostatique augmente causant une hydronéphrose et la perte de fonction rénale, qui se produit rapidement après le début de l’obstruction. Dans un modèle expérimental de chiens sains avec obstruction urétérale totale, une diminution de 60% du débit sanguin rénal est observé après 24 heures. Le débit de filtration glomérulaire a diminué de 35 % après une semaine puis de 54 % après 2 semaines et ce de façon irréversible.
Lors d’obstruction urétérale, les causes à rechercher peuvent être :
- endoluminales (urétérolithes, caillots sanguins)
- murales (sténoses, œdème de la muqueuse, tumeur)
- extramurales (compression par une masse, de la fibrose retropéritonéale, lors d'uretère circumcaval (qui contourne dorsalement la veine cave caudale), ligature per-opératoire accidentelle d’un uretère lors d’ovariectomie.
De loin, les patients les plus fréquemment atteints sont les chats avec des obstructions secondaires à des calculs urétéraux, qui sont pour plus de 92% des cas, des calculs d’oxalate de calcium qui ne peuvent être dissouts.
Les signes d’une obstruction urétérale peuvent être extrêmement frustres avec une douleur abdominale qui n’est pas toujours objectivée, des signes de dysurie (surtout chez les chats présentant une obstruction urétérale distale), des signes systémiques dus à l’azotémie (anorexie, vomissement, oligurie). Lorsque l’obstruction est unilatérale et que le rein controlatéral est fonctionnel, elle peut passer inaperçue en raison d’un bilan biochimique normal. Une fois, l’obstruction objectivée par imagerie (combinaison d’une echographie très précise et d’une éventuelle néphropyélocentèse pour réaliser une pyélographie antérograde afin d’evaluer plus précisément l’obstruction lorsque l’échographie n’est pas concluante), une décision de traitement doit être prise rapidement afin de sauver un maximum de tissu rénal fonctionnel.
- Approche médicale
Un traitement médical conservateur peut être envisagé avec l’administration de fluidothérapie par voie intraveineuse et de mannitol, pour augmenter le flux urinaire dans l’uretère en association avec un alpha-antagoniste comme le prazosin ou l’alfuzosin pour favoriser le passage du calcul. Il est essentiel de faire un suivi régulier par imagerie lors de l’hospitalisation. Cette approche ne peut être envisagée que sur une période courte (moins de 48h) et sur des cas peu sévères : la présence d’une azotémie sévère, d’une hyperkaliémie, d’oligurie, de sepsis, d’hydronéphrose sévère sont des contre-indications à tenter un traitement médical qui retarderait le traitement de décompression de l’obstruction. En cas de signes de détérioration lors du traitement médical, une intervention doit être proposée promptement pour éviter des dommages irréversibles supplémentaires.
Malheureusement, cette approche médicale ne permet une expulsion des calculs que dans 8-13% des chats et des taux de récurrence de 40% sont rapportés dans les 12 mois suivant la levée de l’obstruction. De plus, dans plus d’un tiers des chats, les calculs urétéraux sont associés à des sténoses urétérales, ce qui est une cause d’échec du traitement médical.
- Approche chirurgicale
Le traitement chirurgical de l’obstruction urétrale est à considérer systématiquement en cas de pyélectasie avec ou sans évidence d’insuffisance rénale organique et lors d’échec du traitement médical lorsque celui-ci avait été tenté. La fluoroscopie est un outil diagnostique et interventionnel essentiel pour les gestion des obstructions urétérales. La difficulté de la chirurgie urétérale pour les petits animaux de compagnie est multiple :
- la petite taille du diamètre urétéral (en particulier chez les chats où le diamètre interne de l’uretère mesure entre 0.3 et 0.4 mm ainsi que dans les races toys)
- il y a peu de « redondance » urétérale si bien qu’une perte de substance de plus d’un centimètre peut rendre une anastomose très délicate voire impossible
- la chronicité du processus avec les lésions de sténoses évoquées précédemment, présentes dans au moins 33% ces cas, dues au passage répété de calculs lors d’épisodes souvent infra-cliniques d’obstruction
- L’insuffisance rénale parfois sévère rendant le patient instable et potentiellement à risque durant l’anesthésie générale.
- la possibilité de maladie bilatérale
- la présence d’une infection rénale sous-jacente fréquente
Les patients les plus fréquemment à risque de développer une obstruction urétérale nécessitant une intervention sont les chats. Le plus souvent, les animaux sont dans un contexte d’insuffisance rénale chronique avec un épisode suraigu. Il est fréquent de voir un rein complètement atrophié et possiblement déjà non fonctionnel, en parallèle avec le rein obstrué.
Quatre options chirurgicales sont à considérer :
- La néphrectomie (uniquement possible s’il reste un rein fonctionnel et complètement normal – ce qui peut être impossible à évaluer cliniquement en l’absence de scintigraphie disponible).
- Le retrait du calcul par urétérotomie et suture urétérale. Pour les obstructions distales, il est possible d’associer l’exérèse du calcul et de l’uretère endommagé à la ré-implantation de l’uretère dilaté dans la vessie (néo-urétéro-cystotomie). Ces sutures urétérales peuvent possiblement être supportées par un stent urétéral pour limiter les risques de fuites et de sténose cicatricielle.
- La mise en place d’un stent urétéral permettant de dilater l’uretère et de rétablir un flux d’urine du rein à la vessie sans avoir à intervenir directement sur l’uretère. Dans ce cas le calcul obstructif est laissé en place et le stent se loge entre la paroi de l’uretère et le calcul.
- La mise en place d’un système de dérivation urinaire (SUB : Subcutaneous Urinary Bypass) complet avec un tube de néphrostomie et un tube de cystostomie réunit par une chambre ou "port" d’injection sous-cutanée permettant la ponction d’urine et le rinçage du système de dérivation. De la même façon que pour le stent, les éléments obstructifs sont laissés en place et les uretères sont laissés intacts. Le dispositif de SUB permet de créer un « faux uretère » et comprend un port d’injection sous cutané (permettant de facilement flusher le système lors des suivis) relié à un cathéter allant vers le rein et un deuxième cathéter relié à la vessie dont les terminaisons sont en « cross de hockey » afin de les maintenir en place.
Avantages ou inconvénients des 4 options chirurgicales :
La néphrectomie n’est le plus souvent pas considérée car la majorité des patients présente, au moment du diagnostic, des signes d’insuffisance rénale. Le traitement devra avoir pour objectif de privilégier au maximum, la sauvegarde des néphrons encore fonctionnels ce qui fait de la néphrectomie une option de dernier recours.
Le retrait/anastomose est en théorie le traitement le plus satisfaisant, toutefois, il est rarement réalisable du fait de la taille des structures présentes et surtout du fait de la présence de dommages chroniques dans l’uretère. Seule une pyélographie durant l’intervention permet d’avoir une évaluation correcte de l’état de la lumière urétérale et devrait être réalisée avant de considérer toute urétérotomie. La mise en place d’un stent possiblement retiré par voie endoscopique 1 à 2 mois après l’intervention, permet de limiter les risques de sténose post opératoire.
La mise en place d’un stent urétéral peut dans certains cas (chiens avec une dilatation pyélique conséquente, plutôt des femelles) être réalisée sans intervention à ciel ouvert et par contrôle échographique et fluoroscopique. Pour les autres cas, une laparotomie et parfois une mini-cystotomie restent nécessaires pour mettre en place le dispositif, toujours sous contrôle fluoroscopique. La mise en place de stents urétéraux chez le chat peut s’avérer délicate en l’absence de dilatation urétérale conséquente. La procédure n’est pas sans complications potentielles : obstruction à court (caillots sanguins) ou long terme (incrustation / minéralisation), infection persistante (en particulier si une infection est déjà présente au moment de la mise en place de l’implant), migration du stent, inconfort et irritation chronique de la vessie générant une cystite aseptique. Cette dernière complication est particulièrement reconnue pour les chats, espèce pour laquelle le SUB apparait plus favorable. Le stent a toutefois l’avantage chez les femelles et les chiens de taille moyenne à grande de pouvoir être retiré sans intervention chirurgicale. Chez la femelle, l’échange de stent peut le plus souvent se faire par cystoscopie rétrograde.
La mise en place d’un SUB nécessite une laparotomie large. Bien qu’il soit décrit une mise en place sans contrôle fluoroscopique, celle-ci apparait recommandée pour assurer un placement optimal du dispositif, en particulier du tube de néphrostomie. Le système est adapté à différentes tailles de patients et ne nécessite pas de passer par une structure aussi fine que l’uretère si bien que la procédure apparait souvent plus facile. Les complications sont comparables à celles du stent avec toutefois les complications supplémentaires de fuites aux points de connexion, de « pliure » du système qui provoquerait son obstruction et donc nécessiterait sa révision. La révision est obligatoirement chirurgicale et si le tube de néphrostomie devait être amené à être changé, la procédure constitue souvent un trauma supplémentaire pour le cortex. La mise en place d’un SUB nécessite, un contrôle et un entretien régulier au travers de la chambre implantable en sous cutanée, sous contrôle échographique ou fluoroscopique. Cela permet de prélever des urines et de contrôler l’absence d’infection et enfin de vérifier la perméabilité du système et l’absence d’incrustation par un « rinçage » régulier (tous les 3 puis 6 mois tout au long de la vie du patient). La procédure s’effectue avec une aiguille particulière qui n’endommage pas la membrane silicone du port sous cutané (Aiguille de Huber). En fin de procédure et après avoir vidé toute l’urine de la vessie, le système est infusé avec une solution concentrée d’EDTA qui participe à la dissolution des calculs éventuels et qui est antiseptique.
Plus encore que pour le stent, le SUB pose le problème de l’infection car c’est un corps étranger plus volumineux. En revanche le système (en particulier chez le chat) est mieux toléré et le taux de cystite aseptique est moins important. Le SUB est actuellement la technique la plus fréquemment utilisée pour traiter rapidement les obstructions urétérales aigues avec insuffisance rénale majeure.
Après la sortie d’hospitalisation, une surveillance du patient avec prise en charge de l’insuffisance rénale chronique et surveillance du dispositif lors de SUB pour détecter des complications potentielles sont nécessaires. Selon le stade de la maladie rénale, un régime alimentaire adapté et si possible de type humide est recommandé, avec surveillance de la phosphorémie pour envisager l’ajout de chélateur du phosphore à l’aliment si nécessaire. La recherche d’une protéinurie et d’une hypertension artérielle vont permettre la mise en place de traitement adapté (telmisartan, inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine en cas de protéinurie significative et amlodipine lors d’hypertension).
Les complications à rechercher sont l’incrustation ou la minéralisation du dispositif de SUB observée dans 24% des chats, avec 13% qui développent une réobstruction nécessitant alors, un remplacement du système. Chez les 11% restant, le SUB s’est bloqué mais l’uretère initialement obstrué peut se « déboucher » avec passage du calcul. L’entretien régulier du système avec les rinçages avec la solution adaptée permet de diminuer significativement les risques de minéralisation. Les infections urinaires sont observées chez 8% des patients et doivent être recherchées et traitées. Les SUB sont actuellement considérés comme une bonne option pour la gestion des obstructions urétérales, particulièrement chez le chat, avec une mortalité péri-opératoire faible (6.5%) avec des durées de survie moyennes de l’ordre de plusieurs années.
Conclusion
Toutes les obstructions urétérales ne se ressemblent pas, il faudra adapter le choix de la procédure à l’état clinique du patient, sa conformation, la sévérité de son insuffisance rénale. La levée de l’obstruction urétérale est un des éléments du traitement mais il faudra toujours la prévoir dans une prise en charge globale de l’insuffisance rénale qui devra être surveillée/évaluée durant les mois voire les années suivant l’intervention. La mise en place d’implants sur des patients peu âgés expose à la nécessité de révision du système au cours du suivi.
Illustrations
Cas 1 : Chatte femelle de 10 ans présentée avec une obstruction urétérale caudale (calcul) et une suspicion d’abcès périrénal.
Photo 1 : Une pyélographie sous contrôle fluoroscopique (vue en soustraction) rétrograde est réalisée après abord chirurgical de l’uretère distal qui apparait très dilaté en amont de l‘obstruction. L’examen montre que malgré une dilation externe importante, la lumière de l’uretère est parfois très réduite ce qui atteste de lésions chroniques répétées. On observe une fuite du liquide de contraste vers la capsule rénale qui communique avec l’abcès de la graisse périrénale.
Photo 2 : Sous contrôle fluoroscopique le bassinet du rein est ponctionné et un guide métallique est mis en place dans le bassinet puis dans l’uretère
Photo 3 et 4: Un stent urétéral est mis en place dans le bassinet après anastomose de l’uretère dilaté à la vessie.
Cas 2 : Schnauzer femelle de 7 ans présentant une obstruction urétérale moyenne par un urétéroolithe avec une forte dilatation urétrale en amont (8mm). L’obstruction est associée à une modification minime de la fonction rénale, le rein obstrué est très douloureux. Le traitement chirurgical comprend une urétérotomie pour retirer le calcul et l’analyser (oxalate de calcium, stérile) et la mise en place d’un stent urétéral pour supporter la cicatrisation pour une durée de 1 mois.
Photo 1 et 2 : Echographie du rein Droit et de l’urolithe
Photo 3 : rein décomprimé 24 heures après la procédure, on note des minéralisations dans les replis du bassinet, l’absence de dilatation pyélique résiduelle.
Principe et image du dispositif de SUB :
Cas 3 : Obstruction urétérale unilatérale sur une chatte européenne de 10 ans avec des signes d’insuffisance rénale aiguë. Un rein est atrophié et le second présente une pyélectasie marquée.
Photo 1 : Pyélocentèse peropératoire sous contrôle fluoroscopique. On note la forte dilatation pyélique et urétérale proximale. Passée la forte dilatation l’urine ne passe plus.
Photo 2 et 3 : Vue de fluoroscopie per opératoire : L’obstruction est traitée par mise en place d’un SUB. Noter les longues boucles faites par les tubes de néphrostomie et cystostomie pour prévenir toute pliure ou pincement du système. Ici les clichés sont pris après injection de produit de contraste dans le port sous cutané et permettent d’observer un pyélogramme et un cystogramme.
Cas 4 : Chatte européenne de 10 ans présentée pour récidive d’obstruction urétérale 2 ans après la mise en place d’un SUB sur le rein droit et néphrectomie du rein gauche.
Photos 1, 2 : Radiographies de l’abdomen 2 ans après la pose du SUB. Noter la présence de pincements sur le tube de néphrostomie (flèches blanches) et la modification de la boucle du tube qui génère un nouveau pincement à proximité du port d’injection (têtes de flèches)
Photo 3 : Vue de fluoroscopie peropératoire durant la révision du système. Le tube de néphrostomie est testé avant d’être retiré, une pyélographie est réalisée qui montre que durant la période postopératoire l’uretère s’est désobstrué.
Photo 4 : Vue en fluoroscopie peropératoire durant la révision du système. Un nouveau SUB a été mis en place. Noter que le port est déplacé du côté gauche pour réaliser de larges boucles sans points de pliures ou pincements. L’utilisation de la fluoroscopie permet par ailleurs de placer le tube de néphrostomie directement dans l’uretère proximale (forme en « crosse de Hockey ») ce qui diminue les risques d’obstruction et assure une bonne stabilité.