Par Jérôme COUTURIER
DipVN, spécialiste en neurologie.
Hermione, bruno du Jura femelle de 3 ans est référée en consultation de neurologie pour difficultés locomotrices depuis l’âge de 6 mois. Une boiterie fluctuante a été observée par le propriétaire affectant les membres pelviens caractérisée par des soustractions complètes d’appui sur une ou plusieurs foulées survenant à l’effort ou non et sans douleur visible associée (lien pour visualiser la vidéo 1). Depuis 1 mois des épisodes avec hypertonie d’un ou des 2 membres thoraciques ont également été observés avec ou sans soustraction d’appui (lien pour visualiser la vidéo 2). Un bilan hémato-biochimique s’est avéré normal hormis une élévation discrète des créatine kinase (CK). Une évaluation orthopédique 4 mois plus tôt, complétée d’un examen scanner du rachis et des membres dans une autre clinique n’ont pas mis en évidence de cause convaincante aux troubles locomoteurs.
A l’examen neurologique à distance, Hermione montre une soustraction d’appui partielle à 2 reprises sur le membre pelvien droit (sur 1 foulée à chaque fois), la démarche étant normale le reste du temps. L’examen neurologique rapproché montre des réactions posturales normales, des réflexes médullaires normaux, l’absence d’hyperesthésie rachidienne et une évaluation normale des nerfs crâniens. L’examen clinique général et orthopédique ne montrent pas d’anomalie pouvant expliquer les signes.
L’origine neurologique des signes reste incertaine à ce stade mais une maladie neuromusculaire (polyneuropathie, jonctionnopathie ou myasthénie) est considérée possible vu l’historique locomoteur sans anomalie orthopédique clinique ou en tomodensitométrie. Les hypothèses sont inflammatoires/immunitaires (polyneuropathie ou myosite infectieuse ou immunitaire, myasthenia gravis), métaboliques, paranéoplasiques (improbable vu l’âge et durée d’évolution) et dégénératives (polyneuropathie ou myopathie héréditaire).
Des examens sanguins sont réalisés pour vérifier les causes métaboliques non encore explorées (ionogramme, calcium) et s’avèrent normaux de même qu’un contrôle des CK en ce qui est plutôt en défaveur d’une myopathie. Une sérologie IgG/IgM Neospora et un test rapide Leishmania sont réalisés et sont négatifs. Un examen électrodiagnostique (electromyogramme – EMG – puis conduction nerveuse motrice) est ensuite réalisé sous anesthésie. Il met en évidence une activité spontanée marquée dans les muscles appendiculaires distaux au tarses et aux coudes de type fibrillation (Image 1). L’identification de cette anomalie est fondamentale dans le cas présent car elle confirme bien l’origine neurologique périphérique (neuromusculaire) des signes. La suite de l’examen (conduction motrice) montre plusieurs signes typiques de polyneuropathie (nette baisse d’amplitudes et des vitesses de conduction, dispersion temporelle, latence augmentée, polyphasie) signant une atteinte neuronale appendiculaire mixte, axonale et démyélinisante (Image 2).
Fig. 2 et Fig. 1
Image 1 (gauche). EMG montrant une activité spontanée de type fibrillation sur un muscle interosseux. Le tracé normal attendu devrait être « plat ». Image 2 (droite). Conduction motrice sciatique (nerf tibial). Noter la perte d’amplitude lors de stimulation plus proximale (A2 et A3), la dispersion temporelle (A3). Les vitesses de conduction sont nettement diminuées (calculée à 28 m/s distalement, la normale étant > 50 m/s).
Des biopsies du nerf fibulaire et du muscle biceps femoris gauches sont réalisées sous anesthésie générale (Images 3, 4 et 5) puis envoyées au Comparative Neuromuscular Laboratory pour analyse histologique (Dr Shelton, USA).
Images 3, 4 et 5. Vues opératoires d’une biopsie de nerf fibulaire gauche (image 3 : nerf in situ après dissection, image 4 : nerf rétracté avant biopsie, image 5 : biopsie de nerf extraite)
L’analyse histologique montre une perte axonale des fibres de large diamètre et leur remplacement par des fibres nerveuses en régénération, myélinisées de faible diamètre (Image 6). Elle identifie également des remaniements musculaires secondaires à la dénervation (groupage par type de fibres) (Image 7).
Image 6. Coupe histologique nerf fibulaire gauche
Image 7. Coupe histologique muscle biceps femoris gauche.
Le diagnostic final est une polyneuropathie de type héréditaire/dégénérative sans qu’une telle forme soit décrite dans cette race. Ce type d’affection est sans traitement connu de même que le pronostic même si nombre de polyneuropathies héréditaires sont des maladies chroniques très lentement évolutives (évoluant déjà depuis plus de 2 ans chez Hermione avec des signes cliniques discrets). Hermione ayant été adoptée, une étude de pedigree pour identifier une éventuelle mutation n’est pas envisageable.
Discussion
Ce cas illustre parfaitement comment certaines affections nerveuses périphériques peuvent induire une parésie mimant une boiterie d’origine orthopédique. L’absence de déficit nerveux n’exclut pas une affection neurologique et seul un EMG peut dans un tel cas permettre de distinguer l’origine nerveuse des signes. Sauf à de rares exceptions, l’étude électrodiagnostique reste un examen de localisation permettant seulement de confirmer une maladie neuromusculaire et d’en déterminer l’origine nerveuse périphérique comme ici (mono- ou polyneuropathie), musculaire (myopathie) ou jonctionnelle (myasthenia gravis).
Le recours à une biopsie est souvent de règle si les causes infectieuses, métaboliques et paranéoplasiques ont été écartées. Cet acte, bien que technique pour la biopsie nerveuse, reste relativement anodin et sans risque de complication notable. Le prélèvement doit en revanche être envoyé rapidement selon un protocole standardisé (une partie des biopsies étant fixée dans le formol, l’autre partie préservée dans du sérum physiologique) à un laboratoire expert dans le domaine. L’identification d’autres chiens affectés dans une même race permet dans certains cas d’identifier la mutation génétique en cause et même de de développer un test comme par exemple pour les polyneuropathies héréditaires du leonberg pour lesquels plusieurs tests sont disponibles.