Par Dr Nicolas GIRARD
DipECVD, spécialiste en dentisterie.
Pilou est un petit lapin de compagnie de 8 ans et 1,2 kg présenté en consultation de second avis pour une prise en charge médico chirurgicale d’un abcès facial chronique en projection de la mandibule gauche. Son état général est par ailleurs satisfaisant avec notamment un appétit maintenu et un transit digestif respecté. Par deux fois une procédure de marsupialisation de l’abcès a été entreprise avec antibiothérapie de type marbofloxacine par voie orale conduisant à une récidive sous quelques semaines.
La première étape du plan de traitement est tout d’abord diagnostique. Sous sédation un examen radiologique dentaire est mis en œuvre complété par une taille des tables d’occlusion. L’examen Cône Beam CT (CBCT) confirme l’origine dentaire de l’abcès facial et permet de statuer sur l’identification des alvéoles dentaires inclues dans le foyer d’ostéomyélite mandibulaire. Le défaut de continuité de l’os alvéolaire est synonyme de perméabilité de l’alvéole dentaire adjacente au foyer infectieux. L’identification précise des dents associées à l’abcès intra osseux est essentielle à la gestion chirurgicale de l’affection. (Figure 1 a – b - c) :
La seconde étape du plan de traitement est chirurgicale. Sous anesthésie générale l’arcade dentaire est abordée sous environnement aseptique par voie extra orale à l’aplomb du foyer d’ostéolyse de la corticale (Photo 2 ci dessous) :
Après débridement des tissus de granulation inflammatoire le premier objectif est de bien identifier la première structure dentaire afin de faciliter l’orientation de la lésion intra osseuse en relation des formes dentaires PM3 PM4 et M1. Un set de curette alvéolaire (cléoïde discoïdes) et de curette parodontale (Molt, Gracey) facilite la mobilisation et la luxation avulsion de l’intégralité des dents jugales, par voie extra orale. Une bactériologie du site est réalisée associant pus et tissu de granulation ; les parois osseuses de l’abcès sont débridées. Les bords de la gencive sont identifiés et suturés, la plaie faciale est refermée et suturée plan par plan. Un examen CBCT post opératoire immédiat permet de valider la bonne mise en œuvre du plan de traitement (Figure 3 a - b ci dessous) :
Pilou est hospitalisé sous perfusion pendant 24 heures pour gestion de la douleur et suivi d’un maintien du transit et de la préhension orale. Dans l’attente de l’antibiogramme une gestion anaérobie de l’infection est mise en œuvre sous forme injectable quotidienne sous cutanée à l’aide de Pénicilline. La convalescence de Pilou au cours des premières jours est bonne avec absence de recours au gavage de foins déshydraté. La bactériologie précise l’identification d’un Gram - anaérobie sensible à la Pénicilline. Le Traitement injectable est prolongé sur 1 mois en tout. Six mois après l’intervention un suivi radiologique CBCT confirme l’absence de récurrence de l’ostéomyélite mandibulaire. (Figure 4 a – b ci dessous) :
Discussion
L‘espérance de vie du Lapin domestique est pour l’essentiel dépendante de l’intégrité de son statut dentaire. A ce titre, la qualité de l’alimentation distribuée est intimement dépendante de l’évolution de la maladie Dentaire des Petits Herbivores de Compagnie. L'ostéomyélite de la mâchoire d’origine dentaire chez le lapin domestique est probablement le résultat d'un échec des capacités de cicatrisation intra osseuse suite à une dissémination bactérienne d'origine parodontale. Une étude de l'histologie des mâchoires du lapin met en évidence proportion significative de graisse au sein de la contrepartie spongieuse du processus alvéolaire (2014 Campilo). La distinction histologique entre os alvéolaire et os spongieux au sein du processus alvéolaire est moins précise que chez l’homme. En conséquence l’os mandibulaire du lapin contient moins de cellules hématopoïétiques et plus d'adipocytes que l’os mandibulaire humain. Le tissu adipeux a démontré un effet protecteur pour l’os mandibulaire humain contre l'irradiation ou la résection chirurgicale de tumeurs suite à sa transplantation. (2001 Sen, 2013 Lyn) L’adaptabilité du processus alvéolaire du lapin à un environnement inflammatoire et au processus d’agression continu est partiellement expliquée par ces observations. Un foyer d’ostéomyélite d’origine dentaire chez un lapin domestique peut être considéré comme la conséquence d’une rupture de l’équilibre histologique intra osseux spécifique aux herbivores : la sévérité de l’inflammation osseuse associée au processus d’intrusion des bourgeons dentaires facilite en certaines situations une contamination bactérienne d’origine parodontale.
Le taux de croissance des dents du lapin est conditionné par le type de texture de son régime alimentaire. En comparant un régime à base de foins et un régime à base de granulés, on observe une augmentation de la pression sur la table occlusale et une augmentation du taux de croissance des couronnes dentaires pour l’aliment granulés. (2016 Wyss) L'alimentation influence en plus la morphologie du crâne des lapins avec la mise en évidence de mouvements des mâchoires qui diffèrent selon la résistance de l'aliment avec un axe de pression occlusale différent sur les incisives et les dents jugales. L'adaptation cranio-faciale à leur régime alimentaire au cours de l'évolution a fait l'objet d'une revue synthétique récente. (2017 Böehmer) Le lapin dans sa forme sauvage se nourrit d'herbes vertes, de jeunes pousses d'arbres et de racines molles. Le lapin sous sa forme domestique consomme principalement des granulés, auxquels s'ajoute du foin (en libre accès) plus résistant que l'herbe. Plus l'aliment proposé est dur et plus la pression exercée sur la table occlusale est importante, entraînant le développement d'une biomécanique favorable à l'intrusion de la ‘racine’ dentaire.
L’abcès facial du Lapin en relation avec une ostéomyélite de la mâchoire d’origine dentaire est certainement la forme d’affection dentaire du lapin la plus sévère. Des études antérieures ont déjà démontré l'intérêt de l'utilisation des images Scanner dans le diagnostic des pathologies dentaires chez le lapin domestique. (2016 Capello, 2016 Riggs) Cependant l’examen CBCT facilite la prise en charge complète des dents au niveau du site de l'ostéomyélite maxillaire par une analyse fine de l'os alvéolaire. Cette technique d’imagerie est supérieure au scanner conventionnel pour l’étude de la dentition et notamment du tissu parodontal. (2016 Riggs)
La procédure d’extraction chirurgicale extra orale, documentée par un examen radiologique pré opératoire précis, s’avère être la clef pour une gestion sûre de cette affection. L'abord intra oral de la dent est de fait limitant compte tenu de l’extrusion du bourgeon dentaire au travers de la corticale du processus alvéolaire qui rend délicate voire impossible l’accomplissement de la procédure. D’autre part le curetage osseux approfondi à même d’éliminer les tissus inflammatoires intra osseux ne peut être lui aussi pleinement accompli par la voie orale. Cette stratégie modifie le pronostic thérapeutique de l’affection avec une guérison qui devient la règle plutôt que l’exception.
(nb : ce cas clinique est une illustration résumée d’une série de cas cliniques en cours de publication.)