Par Hervé BRISSOT, DipECVS, spécialiste en chirurgie
Un bouvier bernois femelle de 7 ans est présenté avec une très grosse masse sous cutanée centrée sur le sommet de l’olécrâne de l’antérieur gauche. Cette masse initialement identifiée comme un hygroma 2 ans auparavant a présenté une croissance continue sur une longue période. Bien qu’elle n’engendre pas de boiterie, elle devient inconfortable.
Photo 1 et 2 : Aspect clinique de la masse après tonte du membre.
L’examen de cytologie est en faveur d’un fibrosacrome. Le bilan d’extension établi avec le scanner ne montre pas de processus métastatique, la masse localement est bien organisée, apparait non-infiltrante au niveau musculaire ou au niveau osseux.
Photos 3, 4 et 5 : Imagerie scanner de la masse. Noter l’hypervascularisation et l’envahissement de la peau du pli axillaire.
Toutefois, la masse présente un diamètre de plus de 10 cm à sa base.
Un traitement chirurgical est indiqué, toutefois une exérèse large avec des marges intactes de 2 à 3 cm serait associée à un déficit cutané majeur impossible à suturer directement avec comme facteur aggravant la pointe de l’olécrâne en son centre. La peau habituellement en « excès » du pli axillaire est associée avec le processus tumoral et ne peux pas être conservée pour un plan de reconstruction. Il est donc nécessaire d’amener une couverture cutanée d’un territoire distant.
Compte tenu de la taille importante du lambeau nécessaire et des contraintes locales, un plan de reconstruction inhabituel est mis en place. Il est décidé d’utiliser un lambeau cutané direct base sur l’artère thoracique latérale après conditionnement local par expansion cutanée.
Dans un premier temps les limites du lambeau thoracique dorsal sont dessinées sur la paroi thoracique ipsilatérale à la tumeur. Ces limites sont augmentées de 20%-30% latéralement et surtout en longueur en prenant la 13 ème côte comme repère caudal plutôt que la septième comme habituellement recommandé. Le rebord distal est incisé et une dissection mousse est pratiquée sous le muscle panniculaire jusqu’à la base du lambeau (creux axillaire). Un expanseur cutané rectangulaire de 750 ml est mis en place. La peau est refermée en 3 plans.
Immédiatement après fermeture de la plaie, l’expanseur cutané est rempli de liquide physiologique, avec un volume de 350 ml jusqu’à ce que la peau apparaisse tendue par l’expanseur.
Photo 6 et 7 : Expanseur cutané rempli de sérome physiologique. Expanseur cutané en place sous la peau de la paroi thoracique
La chienne est rendue à ses propriétaires le lendemain de l’intervention. Elle est revue toutes les semaines pour continuer le déploiement de l’expanseur. A chaque fois, la limite d’expansion est déterminée par la palpation d’une tension cutanée en regard du dispositif. Finalement, l’expansion maximale est obtenue 20 jours après la mise en place de l’expanseur. A ce moment, le dispositif a été déployé à sa capacité nominale (750 ml) plus 10% (soit 825 ml).
Cinq jours plus tard, la masse est retirée avec 2 cm de marges latérales et un fascia sous-jacent intact (le fascia antébrachial). Le lambeau conditionné pendant 3 semaines est prélevé pour former un lambeau péninsulaire dont la base est le creux axillaire. Il est tourné à 90 degrés pour recouvrir le site d’exérèse.
Le site du lambeau est refermé directement après une dissection sous cutanée minime. Un drain aspiratif est mis en place.
Photo 8 : Vue per opératoire, la chirurgie d’exérèse et de reconstruction est terminée, noter la reconstruction directe du site donneur et la présence d’un peu de peau redondante au niveau du pli axillaire.
Trois semaines après cette intervention un petit point de nécrose cutanée est observée 5 cm sous la pointe du coude et est simplement débridé et suturé Les sutures cutanées de la première chirurgie sont retirées et un drain aspiratif est mis en place pour traiter un sérome autour du coude. Ce drain est retiré 12 jours plus tard. Toutes les sutures sont retirées 3 semaines après cette reprise.
A ce moment les plaies sont complètement cicatrisées, le sérome n’a pas récidivé, le site est non douloureux, l’utilisation du membre est normale.
L’examen histologique de la pièce d’exérèse est en faveur d’un fibrosarcome de grade II, complètement retiré avec des marges intactes.
Six mois après l’intervention la chienne va bien, la repousse de poil est complète, la fonction du membre est normale et il n’y a pas de signes de récidive tumorale.
Photos 9 et 10 : Aspect de la plaie 6 semaines après la chirurgie de reconstruction. Aspect clinique 7 mois après la première intervention.
Dans ce cas, différentes techniques ont été utilisées, l’expansion cutanée, le « delay phenomenom » et finalement la transposition d’un lambeau cutanée direct :
- La présence de l’expanseur induit la création d’une capsule hyper-vascularisée dans sa périphérie qui augmente la survie du lambeau.
- L’étirement continue de la peau permet d’obtenir un lambeau plus long et plus large que le site d’implantation.
- Le « delay phenomenum » qui consiste à stresser la vascularisation d’un lambeau en prédécoupant les berges sans en disséquer le plan profond. La procédure doit être réalisée 3 semaines avant l’utilisation du lambeau. Elle résulte en une vasodilatation et une augmentation de la taille du réseau de l’artère cutanée directe qui le vascularise.
Ces 3 processus ont permis la survie du lambeau dans des conditions défavorables. Par ailleurs, l’utilisation d’une brassière rembourrée protégeant la pointe du coude et d’un lieu de couchage très épais ont permis de limiter les points de pression sur le lambeau. Malgré ces précautions un petit ulcère de décubitus a toutefois été observé mais il était très superficiel.
L’utilisation d’un expanseur oblige un protocole long de traitement mais est à envisager dans certains cas pour lesquels des reconstructions particulièrement délicates sont à prévoir. La reconstruction de plaie au niveau de la pointe du coude nécessite une planification précise car c’est un endroit de forte mobilité et de contraintes sévères sur la peau, en particulier chez les patients de grande taille.