Otite chronique cérumineuse chez le chien

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Par Nicolas GIRARD, DipEVDC, spécialiste en dentisterie.

Axel est un chien croisé de 3 ans qui présente un premier épisode d’otite externe bilatéral il y a 1 an (gauche plus marqué qu'à droite). Des soins locaux de nettoyage prescrit par son vétérinaire n’apportent pas d’amélioration. Après ré-évaluation sous sédation un épillet est retiré au niveau du conduit auditif externe (CAE) gauche avec blessure observée au niveau de la membrane tympanique. Une prescription orale de prednisolone et des soins locaux à l’aide d’une solution de chlorhexidine stabilisent l’inflammation avec retour vers un comportement proche de la norme.


Les propriétaires observent à nouveau un prurit auriculaire après arrêt de la prescription. Avec le temps une douleur semble s’instaurer pendant la phase de préhension orale. Malgré différents traitements locaux et de cortisone par voie orale la persistance des symptômes locaux et de la douleur pendant la phase des repas sont notés.

Un bilan auriculaire est demandé dans un contexte d’otite chronique bilatérale aggravée de douleur à la préhension orale. Après mise sous anesthésie générale, l’examen Cône Beam CT montre des structures de l’oreille interne dans la norme, des contours osseux des bulles tympaniques droit et gauche lisses et réguliers avec cavités tympaniques aériques. Les parois des CAE sont peu épaissies sans hyperatténuation minérale de leurs parois. Une obstruction discrète de la lumière du CAE droite est notée en région proximale. (photo 1). Dans le même temps anesthésique un examen vidéo-otoscopique met en évidence une inflammation cérumineuse des deux CAE avec congestion des glandes cérumineuses (photo 2). En région horizontale du CAE droit un céruminolithe obstrue la totalité de la lumière du conduit (photo 3). En partie proximale des conduits un bouchon important est mis en évidence. A l’aide d’une hanse de Billaud le bloc de cérumen et les bouchons sont curetés sous irrigation stérile et l’espace péri tympanique soigneusement assaini (photo 4). L’examen confirme la bonne intégrité des membranes tympaniques avec un aspect peu fibrosé.

Photo 1  et 2

Photo 3 et 4

Le traitement prescrit comporte la mise en œuvre de séquences de détersion sous pression associées à l’application d’un topique à base de cortisone, sous une forme collyre. Celui-ci sera prolongé sur le temps long, en jours alternés, suivant l’observation de signe d’un inconfort local ou de démangeaisons.

Le cérumen est un substrat composite produit par les glandes sébacées et cérumineuses présentes au niveau des parois cutanées du CAE. Il se compose d’un mélange de cellules épithéliales et de sécrétion lipidique apocrine.

L’hyperplasie des glandes cérumineuses s’observe sous la forme d’une multitude de petits nodules ayant la forme d’un pois, connectés par leurs canaux à la surface des parois de l’épithélium du conduit auditif. La propriété hydrophobique du cérumen constitue une protection importante des cellules des parois. Certains de ses composants, interleukines – lysozyme, démontrent une activité anti bactérienne. Le nettoyage régulier du cérumen n’est donc pas recommandé chez le chien et le chat.

La migration périphérique des cellules épithéliales du centre de la membrane tympanique vers l’entrée du CAE est de l’ordre de 0,2mm apar jour chez le chien. Un arrêt de la migration épithéliale des parois participe à une sur accumulation de cérumen au niveau des parois proximales du CAE. L’obstruction de la lumière du conduit aggrave l’incapacité de migration des cellules épithéliales qui favorise le maintien du statut inflammatoire du CAE. Le cérumen prend parfois une texture inhabituelle très dense, véritable ‘calcul de cérumen’. 

L’accumulation de cérumen est mal observée par l’imagerie de coupe. A l’examen direct le bouchon de cérumen peut être confondu par excès à la membrane tympanique suivant la qualité des conditions de l’examen. Un examen sur animal vigile limite l’accessibilité et la visibilité. L’endoscopie du conduit auditif est l’examen de choix pour apprécier la bonne perméabilité de la lumière du conduit auditif. Sous irrigation stérile elle permet de retirer délicatement tous les débris accumulés derrière le bouchon, de bien nettoyer le conduit proximal notamment l’espace péri tympanique. Celui-ci se présente déclive à la  membrane tympanique qui présente un angle de 45% à l’axe du CAE.


L'otite externe canine est une affection fréquemment observée avec une incidence approximative de 10 à 15 % des consultations. L'otite externe érythémateuse (OEE) est de loin la forme la plus fréquente alors que les formes suppurées sont plus rares. Les causes favorisantes se distinguent en facteurs prédisposants, facteurs de déclenchement de la maladie et facteurs qui empêchent la résolution de la maladie. Parmi les facteurs prédisposants on note : 

-l’obstruction ou la réduction de lumière du CAE est une des premières causes de chronicité d’une otite.

-les races prédisposées à une production importante de cérumen, les individus présentant un terrain allergique, et les races favorisant une hypertrichose auriculaire sont des facteurs prédisposants qui conditionnent le CAE à cette maladie.

L’installation d’une phase inflammatoire au niveau du CAE engage une surproduction de cérumen qui en elle-même représente le lit du développement des levures et bactéries. Plus qu’une véritable surinfection externe on considère aujourd’hui que le changement de composition du biotope de la lumière du CAE est responsable de l’émergence de nouvelles populations bactériennes défavorables. La raréfaction des populations bactériennes favorables au maintien d’un environnement cutané sain favorise l’émergence d’un biotope où les  conditions sont propices à l’émergence des Staphylocoque et Pseudomonas.

Les infections bactériennes et à levures sont des facteurs secondaires importants qui empêchent la résolution de la maladie. La plupart des cas aigus sont facilement traités avec des produits topiques combinant un antibiotique, un antifongique et un corticostéroïde. L'otite externe récidive souvent en raison de la persistance des facteurs prédisposants qu'ils soient locaux (ex : polype, tumeur) ou généraux (ex : dermatite atopique, séborrhée, hypertrichose). Le cycle continu d'infection et d'inflammation conduit finalement à une sténose progressive de la lumière du CAE par un épaississement/minéralisation de ses parois. L’émergence de bactéries résistantes aux antibiotiques est alors inéluctable.

Le nettoyage efficace de l'oreille est très important car l'exsudat limite l'examen otoscopique, mais surtout limite l’efficacité de la thérapie. La présence d’un bouchon auriculaire et ou de pus et de débris inflammatoires inactivent certains médicaments et empêchent tout contact avec le revêtement épithélial de l'oreille. La première étape du plan de traitement est la détersion du CAE afin d’éliminer l’obstruction mécanique de la lumière du CAE tout en rinçant celui-ci des microbes, toxines bactériennes, débris cellulaires et autres acides gras libres. Elle permet de reperméabiliser le CAE et réduit l'inflammation. Une détersion efficace se réalise sous anesthésie dans un premier temps mais devra être renouvelée régulièrement suivant la progression de la rémission de l’inflammation. Il s'agit du traitement principal en cas d'échec de la migration épithéliale, car il empêche l'accumulation de cérumen et de débris susceptibles de modifier l'environnement du conduit auditif et de favoriser une infection bactérienne ou à levures secondaire (Poire à oreille + eau assainie).

La seconde étape du plan de traitement est l’irrigation du CAE avec un liquide présentant des propriétés chimiques adaptées aux facteurs secondaires de l’inflammation. Privé d’antibiotique ou d’anti inflammatoire, l’irrigant a pour objectif de réaliser une infusion des parois du CAE, donc de rester longtemps en contact avec ses parois. Il facilite une modification de la structure du cérumen, ou de l’environnement acido basique du milieu ou autres actions enzymatiques aptes à réguler le biotope vers un équilibre plus favorable.

La dernière étape du traitement doit toujours être questionnée avant sa mise en œuvre. L’utilisation d’un topique auriculaire avec antibiotique et ou de cortisone devait être justifiée par analyse de bactériologie et questionnement des conditions de la persistance de la phase inflammatoire. Contrairement aux antibiotiques, les antiseptiques agissent sur le site d'application et sont moins susceptibles de favoriser la résistance lorsqu'ils sont utilisés à des concentrations élevées, bien que la résistance aux antibiotiques puisse émerger après l'exposition de diverses espèces Gram-négatives et Gram-positives à des concentrations sublétales de certains biocides (chlorure de benzalkonium, chlorhexidine, triclosan). Cet aspect a déjà été pris en compte, par certains nettoyants auriculaires.

La prise en charge mécanique des conditions du développement de la phase inflammatoire dans les OEE est très importante. Celle-ci ne peut être bien réalisée qu’après l’établissement d’un diagnostic complet par l’intermédiaire du bilan auriculaire.

Le bilan auriculaire permet de préciser les causes de la persistance de l’inflammation et d’évaluer le pronostic d’une stratégie thérapeutique conservatrice. Dans les cas graves celle-ci devra être mise en balance avec une approche chirurgicale plus radicale (excision complète du CAE).